L’information a un goût amer. En France, près de 10% des 2.500 brasseries locales seraient menacées de fermeture. Déjà fragilisée par l’épisode de la Covid-19 et ses confinements, la filière doit encaisser l’impact de la guerre en Ukraine. Les prix des céréales (orge et blé), de l’énergie et du verre flambent. Pour ne rien arranger, certains acteurs de la filière spéculent aggravant encore l’inflation. Comment les brasseries vivent-elles cette période ?
Après le boom observé ces dernières années, il semble que le vent tourne pour la filière brassicole. Pire, les ventes de bière ont baissé de 5% en volume depuis le début de cette année. En cause, l’augmentation des coûts de production, à commencer par le prix de la matière première, le malt d’orge. Mais comme l’augmentation touche toute la chaîne de production : le carton, le transport, mais surtout les bouteilles, la situation s’est tendue. Avec une inflation à 4,5%, dans les rayons, les consommateurs sont contraints de faire des choix. C’est clair !
Les ventes de bouteilles en baissent
Comme ses confrères, la brasserie artisanale bio La Lie subit la situation actuelle. « Nous connaissons une accalmie au niveau de nos ventes alors que nous avons toujours été en progression depuis 15 ans, remarque Erika Vassout, créatrice de la brasserie avec son mari François, en 2011. Nous connaissons aussi une forte hausse de notre coût de fabrication (hausse des matières premières, de l’énergie) ».
Selon la cheffe d’entreprise, les raisons sont multiples : « La reprise après la crise Covid, due à l’explosion de la demande, puis la guerre en Ukraine, ont généré une inflation sur de nombreux produits impactant le pouvoir d’achat des ménages, confirme Erika. A cela, s’est ajouté une concurrence en hausse avec de gros acteurs qui sortent de nouveaux produits et l’émergence, en face de nous, de nombreux nouveaux petits brasseurs. » Par conséquent, les ventes de bouteilles ont baissé et La Lie a dû réduire sa marge.
Plus de bière en fût
La Lie s’est depuis longtemps spécialisée dans la vente de bière à la pression. « La vente de fûts, nous permet de bien maintenir notre volume de production et un carnet de commande toujours plein », calcule François. La Lie a aussi diversifié sa gamme avec la #LaLiemited, une craft beer. Pour le moment, la voie prise par certains sur la limonade ou le whisky, n’est pas d’actualité. « Ce n’est pas notre cœur de métier mais il est vrai qu’on nous demande de la sous-traitance pour ce genre de produits, à réfléchir donc ».
Les brasseurs de La Lie garde le moral. « Oui, car nous ne sommes pas en baisse. A priori, cette année, nous devrions même stabiliser notre production à 3000 hectolitres comme en 2022. Nos efforts paient malgré tout et on est motivés à les poursuivre et à se réinventer », garantissent Erika et François.
Une taille critique pour passer le mauvais temps
Crée en 2013, la Brasserie de l’Odon est l’une des plus anciennes du Calvados. Est-ce pour cette raison, mais Jean-Marc Berthelot, co-gérant associé de la Brasserie de l’Odon, assure que son établissement n’est pas touché par la crise du moment. « Nous avons probablement dépassé la taille critique qui nous permet de faire des économies d’échelle, analyse le brasseur. D’autre part, notre trésorerie est saine et nos fournisseurs nous font confiance en ayant sécurisé depuis longtemps nos achats. » Toutefois, il poursuit : « Nous n’avons pas pu répercuté l’ensemble des hausses que nous avons subies. Et dans l’ensemble nos clients ont accepté celles que nous soumettions. »
Ainsi, l’Odon peut garantir la qualité de sa production quelle que soit la conjoncture. « La qualité ne sera jamais une variable d’ajustement chez nous. Nos clients le savent sûrement, ils nous font donc confiance », renchérit Vincent Guyot, l’autre co-gérant associé de la brasserie située à Aunay-sur-Odon. Grâce à son ancrage régional fort, le duo reste optimiste et voit l’avenir avec sérénité. N’empêche, comme au rugby, Jean-Marc et Vincent maîtrise les fondamentaux : « être très vigilant sur les achats et fournir le service qui va avec la bière ».
En France, le prix des bières artisanales est élevé
Emmanuel Gillard, biérologue spécialisé dans la dégustation et créateur du Projet amertume qui répertorie toutes les brasseries, est un connaisseur avisé des évolutions de la filière brassicole. Selon lui : « La pression exercée par la hausse des prix reste encore problématique. Elle rogne les marges d’exploitation des brasseries qui ne peuvent pas entièrement répercuter ces augmentations sur leur prix de vente, sous peine de perdre une partie de leur clientèle. La bière est une boisson populaire et le prix d’une bière artisanale en France est parmi les plus élevés au niveau européen. »
Plus de fermetures que d’ouvertures de brasseries
Cette situation met à mal les trésoreries et on assiste effectivement à des fermetures. « Sur Projet Amertume, j’ai dénombré 36 fermetures contre 26 ouvertures depuis le début de l’année, dénombre-t-il. C’est une première, car depuis l’année 2000 le ratio ouvertures / fermetures était toujours largement positif, avec un pic de 8,6 en 2017. »
Toutefois, Emmanuel estime qu’il s’agit d’une maturation du marché à vive allure plutôt que d’un véritable marasme. « Le temps des records est passé, souligne-t-il. Le secteur gagne en maturité, avec une réelle professionnalisation du secteur brassicole, une structuration de la filière en amont qui se poursuit dans une logique d’approvisionnement local et une qualité organoleptique moyenne des produits en constante amélioration ».
Mettre à plat ses process
Emmanuel n’est pas un donneur de leçons et ne pense pas qu’il existe des solutions miracles pour permettre aux brasseries françaises de soulager un peu leur trésorerie dans ce contexte particulièrement difficile. « Chacun peut adopter une série de mesures appropriées pour son contexte. Les brasseries peuvent en profiter pour mettre à plat leurs process : rationaliser sa consommation d’eau, réflexion sur le conditionnement (boîte métal vs bouteille en verre, fût à usage unique ou fût en inox, etc.), favoriser la vente directe, notamment. »
Cependant, il pense que le pilotage correct de sa trésorerie est important. « Vu les conditions fluctuantes actuelles, avoir des tableaux de bord à jour permet de connaître la santé effective de son entreprise… et d’éviter de se rendre compte que l’on vend à perte au bout de quelques mois. »
Au final, ce sont les beer potes qui seront le juge de paix. « En effet, ce sont les consommateurs qui décident et la demande reste extrêmement forte, estime Emmanuel. Je pense qu’en restant petit, avec un bon ancrage local et en favorisant la vente directe, il y a de la place pour tous les acteurs de taille modeste ». Mesbieres apporte son soutien aux brasseuses et brasseurs d’ici et d’ailleurs. Rock On buddies.
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