L’étiquette est un outil de marketing efficace. Elle permet à un produit de décrocher le choix du consommateur dans les linéaires, par son pouvoir de séduction et les informations qu’elle contient. Sobres, informatives, flamboyantes ou « déglingos », les étiquettes de bière illustrent la créativité graphique et l’imaginaire des brasseurs. Certes, l’habit ne fait pas le moine ! Et des brasseries la joue discrète. Témoignages de Camille Janvier, Gérald Tournier, Thomas Cauchard et Valérie Vieillard.
Les brasseries font preuve d’imagination pour être identifiable au premier regard.
Parcours et détours riches et variés
Camille Janvier (la LoupBar), Gérald Tournier (La Brasserie des Pionniers), Thomas Cauchard (La Lie) et Valérie Vieillard (Brasserie Sagesse) illustrent des étiquettes de bière pour des brasseries artisanales. Certes, mais leur parcours est différent. « D’abords assistante export, j’ai suivi pendant 4 ans les cours du soir de dessin puis ceux d’illustration PAO à l’école supérieure des arts appliqués Duperré (Paris). J’ai ensuite travaillé six ans dans une agence de pub ou j’y ai appris beaucoup de choses », rembobine Valérie, épouse de Nicolas Vieillard fondateur de la Brasserie Sagesse, près de Pont-l’Évêque (14). En effet elle aime l’art et l’illustration depuis son plus jeune âge.
De leurs côtés, Camille Janvier et Thomas Cauchard ont fait leurs études au lycée Paul Cornu de Lisieux. Ils ont suivi et obtenu le même diplôme, celui de Dessinateur d’Exécution en Communication Graphique. Deux ans de CAP puis deux ans de Bac Pro pour Camille. Ensuite, elle a commencé par donné un coup de main pour créer le logo des copains, Benoit et Axel, qui allaient lancer La LoupBar. De fil en aiguille, elle créé la page Facebook de la brasserie et leur propose de s’associer à eux. Depuis, elle conçoit les étiquettes et le reste tout naturellement.
Après son CAP, Thomas a préféré faire un BAC Pro en imprimerie pour maîtriser l’ensemble de la chaîne graphique. Depuis 2004, il exerce en tant que Directeur Artistique indépendant pour divers secteurs d’activité. Enfin, Gérald Tournier est directeur artistique et graphiste freelance depuis 2018 après avoir obtenu un BTS de communication visuelle et travaillé une quinzaine d’années en agences de communication.
Des approches différentes pour créer des étiquettes de bière
Afin de concevoir des étiquettes, Gérald puise son inspiration dans un peu tout ce qui l’entoure. « J’écoute beaucoup de musique et je fréquente régulièrement les expos et les salles de concerts et de cinéma, détaille-t-il. J’essaie d’avoir une vie culturelle bien remplie afin de m’aérer l’esprit car mes idées arrivent ainsi. Du moins, c’est comme ça que ça marche pour moi. » Valérie préfère le calme d’un train ou de la nuit. « Ce sont les seuls moments où je suis vraiment seule. Je suis certaine de ne pas être dérangée pour imaginer de nouvelles idées de visuels ». (Il n’y a donc pas de photo de Valérie car lorsqu’elle dessine elle est seule – NDLR).
De son côté, Camille observe ce qui se fait. Elle compare avec ce qu’elle connaît déjà afin de voir ce qui fonctionne bien ou non. « J’aime parler avec le client pour que son identité corresponde au plus prêt à ce qu’il est en évitant de basculer dans des idées un peu farfelues. Je dois rester sérieuse sur l’image qu’on véhicule quand on travaille pour son entreprise. Le plus souvent je mets de côté plusieurs visuels qui m’inspirent et je les assemble et les décline ensuite. »
Bien analyser les besoins des clients
Pour Thomas, l’inspiration ne se trouve pas en dégustant les recettes de la Brasserie La Lie car il ne boit pas de bière (oui, c’est possible). D’ailleurs, les seuls brasseurs avec lesquels il travaille sont Erika et François de la brasserie La lie. « Ils connaissent bien leurs produits et c’est ensemble que nous avançons dans la conception et le choix des supports. Chacun apporte ses idées, nous échangeons et choisissons la meilleure direction à prendre. L’image du graphiste qui entre en transe ou qui est touché par la grâce est plus drôle que vraie. » Son travail est avant tout d’analyser les besoins des clients pour pouvoir proposer des solutions percutantes, adaptées et réalisables.
L’univers graphique de Gérald repose souvent sur la typographie et la photographie : « J’aime les textures, le grain et la plasticité que peuvent amener des vieilles photos argentiques, par exemple. Je suis assez fasciné par l’histoire du graphisme et comment il a émergé en Europe. J’affectionne tout particulièrement les vieux procédés d’impression tels que l’impression typographique que je pratique de temps à autre ».
À l’écoute des brasseurs qui connaissent leur bière
Gérald commence par échanger autour de la bière avec son client brasseur. « C’est même vital pour moi, assure-t-il. Ce qu’il va me dire sera la matière première de ma réflexion. Souvent, je ne goûte pas les bières avant car elles sont encore en cours de fabrication lorsque l’on commence à bosser sur une étiquette. » Pour la Caribrew ou la Brasserie des Pionniers, Gérald essaie toujours de respecter le brief du client mais montre une ou deux autres pistes en marge du brief pour susciter la surprise et la réaction.
Pour créer une étiquette, Valérie a besoin du connaître le nom des ingrédients intégrés dans la recette d’une bière, de sa couleur, d’échanger avec le brasseur à propos du processus de création. « Mais, je n’ai pas forcément besoin de les goûter même si c’est plus agréable. » Mariée au brasseur, elle est également la directrice marketing de l’entreprise et c’est ensemble qu’ils débattent pour trouver à quel film ou quelle chanson (souvent vintage…) elle fera référence.
Une saveur, une bière, un film !
Passionnés de cinéma chaque bière raconte une histoire. Une fois trouvé le nom ensemble, pour l’illustration Valérie à carte blanche. « La gamme An’artist de barrel-aged vieillies en fûts de bois a demandé de décliner une identité sensiblement différente pour mettre en valeur la singularité de ces séries limitées, mais la démarche reste la même : une saveur, une bière, un film », précise-t-elle. Le plus dur a été de concevoir la charte graphique et l’identité de la marque au moment de leur déménagement en Normandie et quand la gamme s’est étoffée.
Thomas travaille avec la Brasserie La Lie depuis 2016. « La première étape fût la conception d’une vraie charte graphique pour mettre en avant les illustrations de Lionel Rocton aka Deco’Real. » Depuis, il a travaillé sur beaucoup d’autres projets pour mettre en valeur la marque, les capsules, le packaging ou les photographies. Thomas a également imaginé d’autres étiquettes de bières comme celle de la Suisse Normande qui est basée sur des affiches qu’il a peintes lui-même en s’inspirant d’André Hardy, un artiste célèbre en Suisse Normande.
Chacun sa méthode de création
Une fois le projet imaginé puis posé noir sur blanc et illustré à la main, Valérie le scanne et le transforme sur ordinateur (PAO). Elle commence par le choix d’une couleur, puis elle finalise l’illustration pour la nouvelle bière Sagesse. « Le reste vient après mais la typo ne change pas car elle fait partie de la charte graphique. Il est frustrant de voir qu’une belle étiquette ne « fonctionne » pas si on la passe juste dans une autre couleur et il faut parfois savoir recommencer. »
Camille a la chance d’être la directrice générale de sa propre brasserie, la LoupBar. « Je m’inspire des recettes et je décline les couleurs, les polices en fonction des bières. Ensuite, je fais des tests à échelle réelle pour bien voir si ça claquera dans le rayon. Évidemment, il faut goûter le produit avec modération, bien entendu, sinon l’écran peut devenir flou ! ». Depuis, Camille décline son savoir-faire et propose désormais une offre d’étiquette personnalisée aux entreprises et aux particuliers de la région.
Sur ordinateur ou à la main…
La feuille blanche…. Gérald, lui, commence par un document vide au format de l’étiquette sur lequel il ajoute toutes les infos, textes et logos dont il a besoin pour concevoir l’étiquette. « Puis, je hiérarchise le tout. Ensuite, je regarde comment mêler le texte à l’image de façon à ce qu’il soit incorporé à l’ensemble. Pour moi, il est important que les textes soient bien intégrés au visuel et qu’ils n’aient pas l’air d’être juste posés par-dessus. Le texte apporte ainsi de la profondeur au visuel. »
Pour Thomas : « Il n’y a pas une seule façon de faire, chaque projet est différent donc la manière de faire aussi. Une fois que l’on a déterminé les attentes et les contraintes, il ne reste plus qu’à faire en sorte que ce soit joli et percutant. Les étiquettes de la gamme Suisse Normande pour La Lie sont toutes réalisées à la main à la peinture alors que celles de la nouvelle série LALIEMITED sont travaillées directement sur ordinateur. »
Faites appel à des professionnels
Si certains brasseurs dessinent encore eux-mêmes leurs étiquettes (elles sont parfois réussies), mais faire appel à un professionnel change la donne. Nous pouvons le regretter, mais le marketing passe par l’apparence. Un beau visuel attire l’œil et favorise l’acte d’achat. Thomas estime que faire appel à un illustrateur est une bonne chose car c’est tout simplement son job. « Dessiner soi-même n’est pas exclu, je pourrais travailler avec des dessins d’enfants sans problème. Le truc c’est que sans l’intervention d’un graphiste ça ne sera jamais une étiquette professionnelle, donc l’image renvoyée ne le sera pas non plus. De plus, il n’est pas certain que le fichier fini soit accepté par un imprimeur. »
Gérald, plus malicieux, s’interroge :« Pourquoi le graphiste achète-il sa bière plutôt que de la brasser lui-même ? » Plus sérieusement, il prononce cette phrase car il a connu des gens qui voulaient se débrouiller seuls. Ils passaient un nombre d’heures incroyable à essayer de mettre en place un « bout » d’étiquette pour au final sortir un fichier non conforme pour l’impression… « Faire appel à un graphiste, au-delà de son apport créatif, permet également de s’assurer qu’il s’occupera du volet technique lié à l’impression. Il saura aussi recommander tel ou tel papier et/ou orienter vers un procédé de fabrication adapté. Alors oui, ça coûte de l’argent, mais ça libère aussi du temps pour pour que le brasseur se consacre à son cœur de métier. »
Pour Camille, faire appel à un professionnel peut se transformer en atout : « Parce que chacun à ses domaines de compétences, souligne Camille. On ne peut pas être bon partout (bon ok, sauf exception). Je pense en tout cas qu’il est super intéressant pour nous, toute jeune entreprise, de pouvoir bénéficier d’un chargé de communication et marketing en interne. Mine de rien, ça compte pour bien se démarquer. »
Rien à ajouter !
N’oubliez pas que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.
@mesbieres.fr